Le temple

Photo : Thomas Ricci
Photo : Thomas Ricci

Le temple des soins anti-cancer est devenu un royaume, un empire. Toutes les 3 semaines, je pénètre dans ses bureaux, je patiente dans ses salles d’attente, j’arpente ses couloirs, je discute avec ses occupants. Mon nom est inscrit dans son registre monumental. Toutes les 3 semaines, ils m’attendent, là-bas. Il devient mon temple toute les 3 semaines. J’y vais, j’en reviens. Plus la même. Un peu plus lasse et un peu plus guérie à la fois. La première semaine, dure. La seconde ça va. La troisième je reprends une vie normale. Et ça recommence ...

 

Un lieu où personne n’a jamais envie d’aller. Ou chacun espère ne jamais avoir se rendre. Ca c’est trop tard, on oublie. Comme dans un hôtel un peu particulier, on y entre comme chez soi, le temps d’une journée, de quelques heures. Les gens y sont de passage. Tout le monde sait pourquoi je suis là et je sais pourquoi tout le monde est là. Et tout le monde sait que personne n’a le choix. Ca créé des raccourcis. Le temple est un lieu où ni l’ambiguïté ni le jugement n’existent. Une mini société s’est échafaudée derrière ses murs. Toutes les caractéristiques humaines y sont représentées en version intense, accélérée.  On y croise des jeunes, des vieux, médecins, infirmiers, visiteurs, on y croise des ombres, des gens qui sourient, qui pleurent, qui ont peur, des gens apaisés, curieux, attentifs. Très attentifs.

 

Je suis pressée de le quitter et hâtée de le retrouver. Je dois y aller. Je veux y aller. C’est là qu’on sait. Là qu’on me connait. C’est là qu’est ma place toutes les 3 semaines. Je retourne au temple comme je rejoints ma place. Ma vie tourne uniquement autour de cette visite et de ses conséquences. Vertigineux quand on y pense. Je sens venir le moment où il me faut commencer à la préparer. Organiser les rituels, les papiers, les rendez-vous. Je connais les étapes, les impératifs. Puis l’avion, le taxi, l’arrivée, la veille ... Et enfin, la raison de tout ça ... Le temple. Derrière ses murs d’enceinte, le temps ne s’écoule plus pareil. Le temple est un autre  monde dans le monde. Un autre vortex de la réalité. Il détient ses propres codes, ses propres règles. Il est la pire et la meilleure chose à la fois.