Sceptique

Un rassemblement « historique » face à l’innommable. Les Unes aujourd’hui dévoilent à l’unisson les chiffres : environ trois millions de français dans les rues dans l’ensemble du territoire, les images de fleuves humains, les témoignages de citoyens outrés, mobilisés, fiers de leur pays. Fiers d’être français. La France a redoré son blason, rappelé son histoire et ses valeurs, l’ombre des lumières : Voltaire en particulier s’est penché sur cette journée. Une kyrielle de chefs d’états ont tenu à être présents pour l’occasion, à venir témoigner leur soutien. Benyamin Netanyahou à quelques mètres à peine de Mahmoud Abbas  circulait place de la république. Les Arabes et les juifs ont communié ensemble. La Marseillaise est ressortie de son tiroir poussiéreux. C’est beau, bravo. Mais comment y croire ? L’émotion peut être trompeuse. Comme lorsqu’après quelques verres, on est prêts à s’épancher, se confier, mais l’écoeurement du verre de trop est tout proche. Une mobilisation nécessaire pour faire face à l’horreur et l’incompréhension. Pour se souvenir qu’on est des Hommes les uns à coté des autres le plus souvent sans se voir. D’accord. J’ai éprouvé aussi le besoin de le faire. J’arrête de faire la rabat-joie, j’essaie de partager cet espoir, je mets de coté mon scepticisme forcené et ma détestation des grands rassemblements idéologiques. Non, finalement non... Le seul témoignage qui m’ait rassurée face à la vague de mots et d’articles sens dessus dessous est celui de Luz, rescapé de Charlie Hebdo paru sur le site des Inrocks. En le lisant, je me suis dit pour la première fois que l’esprit de Charlie hebdo n’était pas mort. Je me joins à lui dans sa méfiance des symboles. Tous dans ce journal étaient différents mais tous combattaient les symboles. Où est le hic ? Qu’est-ce que cette fraternité d’un jour deviendra ? Luz n’était pas sûr de vouloir poursuivre l’aventure Charlie avec cette charge sur les épaules. Compréhensible. Charlie d’aujourd’hui n’est que celui de nos fantasmes. Ces hommes se refusaient à être ceux qu’on en faisait, à être là où on les attendait. Avant c’était la satire envers et contre tout. Aujourd’hui c’est une lutte, une guerre qui porte son nom. Dessinateurs et humoristes si courageux soient-ils ne sont pas forcément prêts à s’engager dans cette croisade titrée Charlie. Il rappelait aussi en passant que chanter la Marseillaise en leur mémoire allait à l’encontre de leur façon de penser et de leur travail. Alors avant de laisser nos coeurs se remplirent de fierté devant un Poutine qui défend la liberté d’expression ou une banderole portant le message : « Israël est Charlie », et de s’émouvoir d’un hymne national ou d’un drapeau, veillons à d’affûter notre esprit comme eux aiguisaient leur crayon.

Sur un arbre perché
Sur un arbre perché